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LA PÊCHEUSE D’AMES.

de quelque chose de plus ; aussi la ruse et la prudence doivent donner la main à la coquetterie. La résistance paraît le séduire et lui troubler la tête plus que tout le reste. Pauvre comte ! J’ai bien facilement l’avantage sur lui, puisque je n’éprouve rien pour lui. »

Au milieu de ses réflexions, elle aperçut Zésim, qui était là, appuyé à une colonne. Il lui vint aussitôt une idée badine, et elle profita du moment où un danseur emmenait Anitta, pour se glisser, comme un serpent, vite et sans faire aucun bruit, hors de la salle.

Dans le corridor, près des vestiaires, se trouvaient aussi quelques petits cabinets, disposés pour ceux qui voudraient se masquer pendant la fête. Dragomira fit signe à Barichar qui était avec les autres domestiques et gardait un grand panier. Mais au moment où elle allait entrer dans un de ces cabinets, deux bras souples l’enlacèrent presque tendrement et les yeux bleus d’Henryka la regardèrent avec un sourire malicieux.

« Enfin ! Je vous tiens, s’écria l’aimable jeune fille, et maintenant vous ne m’échapperez pas.

— Si, répondit Dragomira en souriant, car j’ai une petite intrigue en tête, et vous ne voudriez certainement pas me gâter cet innocent plaisir.

— Vous vous masquez ?

— Oui.

— Oh ! je ne vous trahirai pas, continua Henryka, permettez-moi de vous accompagner et de vous aider. »

Toutes les deux entrèrent dans le cabinet. Quand Barichar fut parti après avoir déposé son panier dans un coin, Henryka ferma la porte. Dragomira s’était assise devant la table de toilette et commença à ôter sa parure pendant qu’Henryka enlevait le contenu du panier avec des cris d’admiration enfantine. Quand ce fut fini, elle s’approcha de Dragomira, et, debout devant elle, se mit à la considérer avec un intérêt extraordinaire.

« Je ne sais pas ce qu’ont les gens, dit-elle, ils vous trouvent tous énigmatique ; et Anitta pense même que vous avez quelque chose d’inquiétant. Moi, au contraire, je me sens une grande sympathie pour vous.

— Prenez garde, répondit Dragomira, vous découvrirez peut-être à la fin sous cette robe un corps de serpent ou une queue de poisson.

— Vous n’êtes pas non plus une créature ordinaire, continua