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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Puis l’un des jeunes garçons présenta une discipline à l’apôtre qui en frappa trois fois le pénitent étendu à ses pieds, en lui disant trois fois :

« Accepte ces coups que ton Sauveur Jésus-Christ, le fils unique de Dieu, a reçus pour toi. Qu’il daigne, lui qui a pris sur lui les péchés du monde, prendre aussi sur lui tes péchés ! »

Les autres l’imitèrent chacun à son tour.

Quand le pénitent se releva, un autre vint le remplacer et se prosterner devant l’autel. C’était un jeune homme au visage pâle et mystique, aux yeux égarés et brillants du feu de la fièvre.

« Couronnez-moi d’épines ! s’écria-t-il, comme autrefois fut couronné mon Rédempteur ! Frappez-moi au visage ! Insultez-moi ! Faites-moi souffrir tous les tourments que mon Sauveur a soufferts pour moi ! »

Déjà deux hommes dénouaient leurs ceintures de corde pour lui lier les mains derrière le dos. Cela fait, une des jeunes filles approcha une couronne d’épines et la lui posa sur la tête en appuyant. Aussitôt une douzaine de mains continuèrent à l’enfoncer jusqu’à ce que le sang ruisselât sur le front du malheureux. Un troisième se fit attacher sur une croix de bois, et on lui donna un coup de lance dans le côté. Une vieille femme, sans pousser la moindre plainte, se fit tracer le signe du Christ aux pieds et aux mains avec un fer chaud. Peu à peu le pieux délire se calma ; tous s’étaient silencieusement remis à genoux et priaient. L’apôtre retourna à l’autel, étendit les bras et dit : « Maintenant que chacun s’est repenti et a fait pénitence, réjouissons-nous de la grâce de Dieu et louons tous le Seigneur. »

Il dépouilla rapidement sa robe de prêtre et apparut avec une longue tunique blanche comme celle des Chérubins. Tous se relevèrent en même temps, laissèrent tomber leur robe grise de pénitent et restèrent debout, vêtus de blanc comme le prêtre. Les jeunes filles se mirent des couronnes de fleurs et distribuèrent des branches, d’arbres verts qui devaient servir de palmes.

Tous entonnèrent ensemble un cantique de louanges. Les jeunes filles jouaient des cymbales et du tambourin, et exécutèrent une espèce de danse devant l’autel.

Il faisait nuit quand Dragomira arrêta son cheval devant l’auberge. Elle frappa à la fenêtre avec sa cravache ; Zésim se hâta de sortir et la salua, pendant que son domestique sellait leurs chevaux.