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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Je crois que tu me traites avec défiance, parce que je suis soldat.

— Pas du tout : la guerre est bonne ; grâce à elle beaucoup d’hommes à la fois gagnent le paradis, soit parce qu’ils souffrent cruellement, soit parce qu’ils meurent sur le champ de bataille. »

Zésim la regarda tout surpris. Elle s’était assise près de la fenêtre grillée, ses belles mains modestement jointes sur ses genoux. En ce moment, elle lui semblait une prisonnière, dans cette chambre blanchie à la chaux, dont tout l’ameublement consistait en un lit à baldaquin, une armoire, une table et deux chaises. Le seul ornement était une image du Sauveur couronnée de fleurs desséchées ; une discipline y était suspendue.

Qu’est-ce que cela voulait dire ? Cette jeune fille autrefois si gaie, si aimable, poussait-t-elle l’austérité jusqu’au délire religieux ? Était-elle son propre bourreau.

De plus en plus il se sentait devant une énigme qui lui serrait le cœur.

Une autre fois encore il la trouva seule. Elle était dans le jardin et avait une robe blanche tout unie, qui la rendait encore plus charmante. Elle fit un brusque mouvement d’effroi, quand il apparut devant elle à l’improviste, et elle rougit. C’était le premier signe de vie, d’émotion humaine qu’elle donnât.

« Je te suis donc bien désagréable, dit-il, que tu tressailles à mon aspect ?

— Que t’imagines-tu là ? répondit-elle avec calme, il n’y a rien qui pourrait m’effrayer ; pourquoi aurais-je précisément peur de toi ? Je t’aime autant que je le peux et que je le dois, et je sais que je n’ai rien à craindre de toi. Tu aurais plutôt des motifs d’éviter ma rencontre.

— Tu as raison.

— Oh ! pas dans le sens où tu le prends.

— Dans quel sens alors ? »

Dragomira arracha une branche de rosier et passa rapidement les épines sur son bras blanc. Des lignes rouges apparurent et une goutte de sang tomba à terre.

« Que fais-tu là ? demanda Zésim.

— Ce qui me fait du bien, répondit Dragomira.

— Aimes-tu donc à te martyriser ?

— Comme tous ceux qui cherchent le ciel et méprisent la terre.