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LA PÊCHEUSE D’AMES.

coupable ? C’est Dieu qui te l’a donné ; nous sommes incapables de connaître quelles voies veut suivre sa sagesse. Notre affaire, c’est d’obéir à ses décrets. Tu n’a pas péché, Dragomira, je t’absous.

— Je puis donc l’aimer ? demanda Dragomira.

— Oui.

— Mais cela ne lui suffit pas, continua-t-elle ; il veut que je lui donne ma main. Il me presse, il me tourmente ; jusqu’à présent je l’ai tenu éloigné de moi par toutes sortes de motifs. Que dois-je faire s’il me demande une réponse définitive ?

— Il n’y a aucune loi de notre sainte croyance qui t’interdise de devenir sa femme.

— Ne parle pas ainsi, réponds-moi, dit Dragomira d’un ton suppliant, décide. Dois-je céder à sa prière, oui ou non ? Je ne ferai jamais rien sans ton approbation.

— Fais ce que ton cœur te pousse à faire ; deviens sa femme, mais sauve son âme et la tienne, quand il en sera temps.

— C’est ma volonté.

— Et remplis tes devoirs comme auparavant.

— Jamais je ne serai infidèle à notre doctrine, répondit Dragomira ; jamais je ne manquerai à tes commandements, jamais à la mission qui m’est échue.

— Mais comment entends-tu concilier tes devoirs avec ceux que tu auras envers ton époux ?

— En étant loyale envers lui.

— Veux-tu le convertir à notre croyance ?

— J’espère y réussir.

— En attendant garde ton secret fidèlement, comme tu l’as fait jusqu’ici.

— Je l’ai juré, dit Dragomira, et je tiendrai mon serment. S’il m’aime, il doit se fier à moi sans réserve ; il doit se laisser conduire par moi comme un aveugle. S’il ne veut pas m’accorder sa confiance pleine et entière, alors qu’il me quitte pendant qu’il en est encore temps ; il vaut mieux que nos routes se séparent pour toujours.

— Oui, dit l’apôtre, je le vois, tu es animée de l’esprit de vérité et tu ne t’égareras pas. Dieu t’a bénie et t’a choisie pour une grande tâche. Tu obtiendras par là les joies éternelles du paradis et la communion des saints. Relève-toi. »

Dragomira se releva.

« Il y a longtemps que je n’ai assisté au service divin, dit-elle au bout de quelques instants ; quand pourrai-je de nou-