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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— À tes ordres.

— Du reste, rien de nouveau ?

— Si ; dans le cas où vous verriez l’apôtre à Myschkow, dites-lui que le commissaire de police Bedrosseff est venu dans le cabaret et m’a fait subir un interrogatoire.

— À propos de quoi ?

— Pour savoir si Pikturno venait chez moi, et s’il ne s’y était pas rencontré avec une dame étrangère.

— Et qu’as-tu dit ?

— Que j’avais très bien connu Pikturno et qu’il était devenu amoureux de moi à en perdre la tête ; que, quant aux dames, il n’en venait pas généralement chez moi.

— Bien, mais c’est un avis d’être encore plus prudent à l’avenir.

— Je n’y manquerai pas, répondit Bassi, ma tête est en jeu aussi bien que la tienne. Bonne nuit.

— Bonne nuit. »

Le lendemain, dans la matinée, à l’heure convenue, Zésim arrivait à cheval avec son domestique devant la maison de Dragomira. Une fenêtre s’ouvrit, un joli visage de jeune fille se pencha en souriant et disparut aussitôt. Quelques minutes après, Dragomira apparaissait en amazone de drap bleu. Elle avait sur sa robe une jaquette courte de même étoffe, garnie de fourrure noire. Elle était coiffée d’un bonnet rond en fourrure, d’où tombait un voile ; elle avait des gants à revers et tenait une cravache. Elle regarda gaiement Zézim et lui tendit la main.

« Quelle belle journée !

— Oui, mais froide.

— Nous nous échaufferons à cheval. »

Barichar amena le cheval de Dragomira. Zésim descendit pour aider la jeune fille à se mettre en selle. Elle posa légèrement le pied dans sa main, et s’élança avec un mouvement de reine sur le dos du fier et ardent animal. Zésim l’imita et ils se mirent en route par les rues populeuses de la ville. Les deux jeunes gens n’échangeaient que de rares paroles. Dragomira regardait curieusement autour d’elle ; tout semblait lui faire plaisir, les brillants magasins, les gens en toilette, les paysans ivres et les juifs, à qui leurs noirs caftans donnaient l’air de corneilles sautillant dans la neige.

Quand ils furent en pleine campagne, Dragomira leva fièrement la tête et montra à Zésim avec une sorte de joie sauvage la vaste plaine de neige qui s’étendait devant leurs yeux et