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LA PÊCHEUSE D’AMES.

mesure de ses péchés. Enfin arrive le jour où la victime est immolée solennellement par le prêtre, devant l’autel, en présence du crucifix.

— Tout cela semble incroyable, dit Sessawine.

— Soyez sûr que je m’en tiens à la stricte vérité, répondit le jésuite, et ce n’est pas tout, j’ai bien plus étrange que cela à vous raconter. De même que dans la plupart des sectes russes, la femme, chez les dispensateurs du ciel, est considérée comme un être plus pur, plus haut, meilleur que l’homme, et elle joue le principal rôle. Il y a trois types de femmes dans cette secte, la Pénitente, qui cherche à regagner le ciel par le renoncement et les souffrances volontaires ; la Pêcheuse d’âmes, qui attire les victimes dans le filet, et la Sacrificatrice, qui se consacre au culte sanglant et qui immole au nom de Dieu ceux qui ont été voués à la mort. De ces trois espèces de femmes, la Pêcheuse d’âmes est la plus intéressante et la plus dangereuse ; car elle vit au milieu de nous sans que nous nous doutions de sa mission, attendu que son ténébreux fanatisme se cache sous le masque d’une élégante dame du monde. »

À ces dernières paroles, Anitta, cédant à un mouvement instinctif de peur, regarda involontairement Dragomira. Celle-ci, qui jusqu’alors était restée calme et n’avait nullement paru s’intéresser à ce qui se disait, leva lentement ses grands yeux bleus et dirigea sur le P. Glinski un regard qui fit frissonner Anitta. C’était le regard froid et sanguinaire d’un tigre.

Personne ne l’avait remarqué, personne excepté Anitta. Dragomira reprit alors son visage indifférent, impassible, où l’on cherchait en vain à lire ; mais Anitta ne pouvait plus oublier cet unique regard, et, sans être en état de se rendre compte de son impression, elle pensa à Zésim avec une angoisse profonde et un douloureux pressentiment.