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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Quand il entra dans le salon, Dragomira y était.

La maîtresse de la maison les présenta l’un à l’autre, mais c’était précisément à ce moment du jour que les Polonais appellent l’heure grise, et où l’on aime à se trouver réunis et à causer sans lumière. Dans le petit salon régnait un crépuscule argenté ; les lourds et sombres rideaux augmentaient encore l’obscurité. Le comte s’efforçait, mais en vain, de pénétrer avec ses yeux d’aigle le voile qui enveloppait Dragomira tout en laissant deviner de charmantes choses. Dragomira, d’ailleurs, était assise à côté d’Anitta, à une certaine distance de lui. Il ne parvint à distinguer que les contours de sa personne ; mais en revanche, il entendait, de temps en temps, sa belle voix fière et musicale, et il l’écoutait comme dans un rêve. Il lui semblait retrouver le vague souvenir d’un ancien conte du temps de son enfance. Avait-il déjà entendu cette voix ou était-il le jouet d’un illusion ?

Il respira quand le vieux valet de chambre entra doucement et posa la grande lampe sur la table. Le comte voyait maintenant parfaitement la belle jeune fille.

Dragomira avait une robe de velours noir sans ornement et garnie de dentelles blanches au bout des manches et autour du cou. Sa chevelure d’or, aux souples ondulations, simplement partagée par devant, était rassemblée par derrière en un gros nœud. La distinction paisible et la noble simplicité de cette toilette rendaient encore plus attrayante la tête déjà si remarquable de cette étrange jeune fille. Elle causait avec Anitta, et on la voyait presque de dos. Une seule fois, elle tourna lentement la tête vers le comte et le regarda de ses grands yeux bleus interrogateurs.

Le jésuite observait avec une inquiétude croissante l’effet que l’étrangère produisait sur Soltyk, et il vit avec contrariété le comte saisir la première occasion de s’approcher d’elle.

« Vous avez tenu parole, dit-il à voix basse.

— Je profite de votre présence, monsieur le comte, pour vous remercier de nouveau, répondit Dragomira, et elle lui tendit la main.

— Oh ! combien je suis heureux de vous revoir ! » murmura Soltyk.

Le P. Glinski s’approcha.

« Écoutez, cher comte, dit-il, une épouvantable histoire qui est vraie et que je viens d’apprendre. Cet atroce événement s’est passé dans le pays de Kamieniec Podolski. On a trouvé