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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Ou bien s’occupait-elle de lui, sans qu’il s’en doutât, et le forçait-elle à enfermer ses pensées dans le cercle qu’elle traçait autour de lui.

Oui, elle le dominait ; oui, elle l’entourait d’un filet magique, et, dans le lointain, sa figure semblait sortir d’un nuage d’argent, encore indécise et confuse, mais d’autant plus attrayante dans ce vague mystérieux.

Le rire sonore d’Anitta l’arracha de son rêve. Il la regarda tout surpris et se mit à sourire.

« Ce n’est, en vérité, qu’une délicieuse enfant, et rien de plus, pensa-t-il ; ce qui convient autour d’elle, ce ne sont pas des lions, mais des serins. »

Deux jours après, Sessawine arrivait précipitamment chez Dragomira.

« Les dames Oginski veulent absolument faire votre connaissance, s’écria-t-il, elles me suivent.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Dragomira, sans être surprise le moins du monde.

— J’ai parlé de vous avec enthousiasme, et ce que j’ai dit a piqué leur curiosité. »

Dragomira le menaça du doigt.

« Je vous en supplie, ne faites pas voir que leur visite ne vous surprend pas, dit Sessawine, et puis faites-vous bien prier, n’acceptez pas trop sans façons leur invitation. Ce n’est qu’à cette condition que vous jouerez dans cette maison-là le rôle qui vous appartient.

— Je suivrai votre conseil.

— Ah ! encore une chose…

— Je dois me faire belle, pour ne pas être trop au-dessous de votre dithyrambe, n’est-ce pas ?

— Vous avez deviné… c’est pourtant bien inutile, car vous êtes toujours belle.

— Alors adieu. »

Il lui baisa la main et partit en toute hâte.

Dragomira resta un moment immobile au milieu de la chambre. Le premier pas vers le but était fait ; elle avait une occasion merveilleuse de pénétrer dans ce monde que le comte Soltyk fréquentait, de le rencontrer, de lui passer le lacet autour du cou. Tout le reste dépendait d’elle, et elle ne manquerait pas à sa tâche.

Elle fit rapidement sa toilette, arrangea ses cheveux et se regarda ensuite dans la glace, sans coquetterie et sans orgueil,