rencontrée jusqu’à présent, continua Sessawine, souvent elle me fait l’effet de s’être échappée d’un conte ou d’une ancienne chronique.
— Alors elle n’a pas grand’chose de moderne, dit Henryka.
— Je vous demande pardon ; c’est tout à fait la fille de notre temps, qui pèse les étoiles au trébuchet, comme le juif les ducats.
— Quant à cela, je ne comprends pas du tout, dit Anitta.
— Vous devriez faire la connaissance de Dragomira, reprit Sessawine, elle m’a fait assister à une scène… Rien que d’y penser j’en ai encore le frisson.
— Quelle scène ? demanda Henryka.
— Oh ! racontez-nous-la ! dit Anitta.
— De qui est-il question ? demanda Mme Oginska, devenue attentive comme les autres.
— D’une intéressante jeune dame que Sessawine connaît depuis peu.
— Une étudiante, sans doute.
— Non, une demoiselle noble, qui vit ici très retirée chez sa tante, Mlle Maloutine.
— La fille du colonel Maloutine ?
— Oui, je crois.
— C’est une très bonne famille. Et quel roman y a-t-il avec la jeune fille ?
— Il n’y a pas eu de roman, noble dame, répondit Sessawine, mais une aventure comme on en voit dans les légendes des saints.
— Alors, dépêchez-vous donc de la raconter, dirent les jeunes dames du ton le plus pressant. »
Sessawine décrivit simplement, sans exagération ni embellissement, la scène de la cage des lions, telle qu’elle s’était gravée pour toujours dans sa mémoire. À plusieurs reprises, il fut interrompu par des cris d’étonnement, d’admiration ; le comte Soltyk fut seul à ne donner aucun signe d’intérêt à ce récit. Assis à l’écart, les mains jointes, la tête penchée devant lui, le regard attaché au sol, il semblait à cent lieues de là, tandis qu’en réalité, il était très attentif, et écoutait à en perdre la respiration. Quant Sessawine eut fini il ne fit pas la moindre remarque, il ne dit pas un seul mot ; mais de tous ceux qui avaient écouté avec un enthousiasme mêlé de frisson, aucun n’avait éprouvé une impression qui pût seulement approcher de la sienne.