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LA PÊCHEUSE D’AMES.

blanche main posée sur le tapis vert, elle se penchât sur la bande pour essayer un nouveau coup ; soit que, passant un bras autour de la taille d’Henryka, elle appuyât sa jolie tête sur l’épaule de son amie. La moindre remarque qu’elle fit, sa respiration, le frou-frou de sa légère robe de soie suffisaient pour le mettre dans une sorte d’extase.

Enfin il sortit de son rêve. Une bille était sautée hors du billard. Anitta et Bellarew coururent tous les deux pour la rattraper. Il y eut un temps d’arrêt dans la partie. Henryka, par pur badinage et nullement par curiosité, se pencha vers Sessawine au-dessus du billard et le questionna d’un ton espiègle.

« Avec qui donc étiez-vous dernièrement à la promenade ?

— Avec un monsieur ? demanda Sessawine.

— Non, avec une dame.

— Avec ma tante ?

— Oh ! non ! Avec une jeune et très jolie personne. Vous faites semblant de ne pas vous en souvenir, mais on vous a vu, vous avez beau nier, cela ne vous sert à rien.

— Oui, Henryka m’en a parlé, dit Anitta avec malice ; il paraît que vous avez des connaissances très intéressantes que vous nous cachez, monsieur Sessawine.

— Ah ! je vois qui vous voulez dire, dit Sessawine, qui avait été un peu embarrassé ; cette jeune dame, c’était Mlle Dragomira Maloutine.

— Une actrice ?

— Au contraire, une dame de la meilleure famille. Sa mère est veuve et vit sur son domaine. Mlle Maloutine est depuis peu à Kiew, chez une vieille tante malade, à qui elle se consacre exclusivement.

— Et est-elle réellement si belle ? demanda Anitta, Henryka me la décrivait comme une figure de roman.

— Mlle Maloutine ne me fait pas penser à une héroïne de roman, reprit Sessawine qui s’animait peu à peu, mais à une héroïne de tragédie. Elle a une grandeur calme, simple, je pourrais dire classique.

— Ah ! vous piquez ma curiosité, dit Anitta, connaissez-vous cette merveille, cher comte ?

— Non.

— Vous connaissez pourtant toutes les jolies femmes. »

Le comte haussa les épaules en souriant.

« Dragomira est la créature la plus remarquable que j’aie