Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
LA PÊCHEUSE D’AMES.

jaunes comme de l’or. Un d’entre eux, qui avait une huppe noire et les ailes nuancées de noir, voleta autour de la tête d’Anitta et se posa sur son épaule. Elle lui présenta le doigt ; l’oiseau s’y percha avec confiance, et, comme elle l’approchait tendrement de ses lèvres, il se mit à chanter.

« Il est tout triomphant de la faveur qu’il a obtenue, dit Soltyk. Ô combien j’envie à cette petite bête son heureux sort ! »

Anitta n’osait pas regarder le comte. Elle éprouvait une sorte d’anxiété ; elle se sentait déjà à moitié en son pouvoir, et se défendait contre le charme qui s’emparait d’elle.

« Vous êtes bonne, continua le comte en saisissant les mains d’Anitta, vous avez un cœur pour tous, excepté pour moi. Pourquoi faut-il que je reste comme l’ange déchu à la porte du paradis ? Pourquoi n’avez-vous pour moi aucune aimable parole, aucun regard affectueux.

— J’ai de l’affection pour vous, reprit Anitta, en baissant sa jolie tête, mais ne me demandez pas de l’amour, je ne peux pas vous en donner.

— Étrange jeune fille !

— Pourquoi ne voulez-vous pas être mon ami ?

— Je serai tout ce que vous voudrez, chère Anitta, dit Soltyk, il n’est rien en ce monde qui ne puisse s’obtenir par une volonté énergique ; rien qui ne se laisse gagner par un dévouement fidèle ; pourquoi n’en serait-il pas de même de l’amour, de votre amour, Anitta ?

— Je ne sais pas, répondit-elle doucement, quoique avec une grande fermeté, je ne crois pas que l’amour puisse être gagné ni par des qualités supérieures, ni par des actions ou des sacrifices. L’amour nous est donné ou refusé, sans plus de motif dans un cas que dans l’autre. Il y a des puissances supérieures auxquelles nous sommes soumis sans pouvoir les approfondir.

— Alors vous ne me donnez aucune espérance ? »

Anitta resta muette. Le comte lui fit un profond salut et la quitta lentement ; arrivé à la porte, il la regarda encore une fois. Elle lui tournait le dos et baisait son petit favori. Soltyk partit en poussant un soupir. Il s’était enfin déclaré, et elle l’avait repoussé. En pareil cas il eût haï une autre femme ; elle, il l’aimait encore plus ; mais toute sa fierté, tout son orgueil farouche se cabrait à la pensée qu’un autre pourrait la posséder. Il était résolu à tuer quiconque se risquerait à lever le regard sur elle, et il était homme à exécuter cette résolution.