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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Aimez-vous réellement cette jeune fille ? continua Dragomira, je ne sais pas, mais elle me semble bornée, enfant et assez peu spirituelle, bref, insignifiante.

— Pardonnez-moi si je ne vous réponds pas là-dessus.

— Vous avez raison, et cela vous fait honneur de ne vouloir rien dire de défavorable au sujet d’une dame pour laquelle vous avez un sentiment ; mais sa conduite à votre égard, sa conduite seule suffit pour me la faire condamner. »

Zésim garda le silence.

Dragomira le regarda et lui tendit la main.

« Je vous comprends, Zésim, et je vous promets de ne plus vous dire un mot de cette affaire ; mais ne vous abandonnez pas ainsi, arrachez courageusement le trait de votre blessure, et elle guérira, elle guérira plus vite que vous ne le pensez et ne l’espérez. Je veux essayer de vous consoler. Il y eut un temps où vous restiez volontiers près de moi.

— Vous me confondez. »

Zésim saisit les mains de Dragomira et les baisa.

« Nous recommencerons à être bons amis comme autrefois.

— Que vous me rendez heureux, Dragomira ! Vous ne vous doutez pas combien tous ces jours-ci j’ai aspiré après vous !

— En vérité ? »

Elle se pencha vers lui, les joues rougissantes et les yeux brillants.

« Sans cela, serais-je venu si vite ?

— Je vous crois, Zésim ; aussi je veux vous voir maintenant plus souvent chez moi ; je veux vous voir tous les jours, chaque soir. Viendrez-vous ?

— Si je puis, certainement. Vous me faites beaucoup de bien, Dragomira, avec votre regard affectueux, avec vos bonnes paroles. Il me semble que je suis un esclave dont on brise les fers.

— Oui, je veux vous rendre libre, s’écria la belle jeune fille, tout à fait libre. »

Zésim la considéra avec un certain étonnement.

« Si vous le voulez, dit-il au bout d’un instant, vous réussirez ; car je crois que vous pouvez tout ce que vous voulez sérieusement. »

Après le départ de Zésim, Dragomira resta ballottée par une tempête de pensées et de sentiments. Elle était étendue sur son divan, comme une Madeleine repentante, la tête dans ses mains, et elle méditait profondément, Elle était assez courageuse pour