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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Conseillez-moi. Je suis prête à tout ce qui ne sera pas contre mon honneur. »

Zésim la regarda longuement.

— Alors ?

— Il n’y a qu’un moyen.

— Lequel ?

— C’est un moyen très décisif.

— Dites-le donc. Suis-je une enfant ?

— Fuyez avec moi.

— C’est impossible, Zésim, à quoi pensez-vous ?

— Je ne vois pas d’autres moyens de salut que la fuite et un mariage secret.

— Oh ! Zésim ! À quoi me servira la bénédiction du prêtre, si la malédiction de mes parents pèse sur moi ?

— Ce ne sont que des mots, Anitta ; on connaît votre caractère d’enfant et l’on cherche à vous effrayer.

— Non, Zésim, non, je ne puis pas, ne me condamnez pas. Je vous aime plus que tout ; mais après vous, j’aime et je respecte mes parents. Je ne peux pas les affliger, non, je ne le peux pas.

— Vous manquez de courage ; tout ce qui est contre l’usage vous fait peur, répliqua Zésim. Pour l’amour de Dieu, fermez donc les yeux et abandonnez-vous à ma conduite.

— Non, je ne peux pas être si égoïste !

— Oh ! justement, l’amour désintéressé et dévoué consiste à s’arracher à tout ce qui vous est cher pour suivre le bien-aimé !

— Non, Zésim, c’est de l’égoïsme de ne songer qu’à son propre bonheur et de sacrifier celui des autres.

— Anitta, vous ne voulez pas partir parce que vous ne m’aimez pas.

— Zésim !

— Ce n’est qu’un caprice pour vous, un beau rêve, comme disait votre mère ; au premier obstacle sérieux, vous avez peur et vous reculez.

— Si vous m’aimez réellement, répondit Anitta presque suppliante, prenez patience.

— Je vous aime, s’écria Zésim en se levant, et je vous prouverai avec quelle ardeur je vous aime. Si vous pouvez supporter d’être séparée de moi, moi je ne puis survivre à votre perte et je n’y survivrai pas. Il vaut mieux en finir et se fermer volontairement les yeux que d’être condamné à voir comment les flammes s’éteignent et comment les roses se flétrissent.