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LA PÊCHEUSE D’AMES.

sur sa poitrine. Elle lui tenait maintenant l’a tête immobile comme avec un crampon de fer. Elle lui ouvrit la bouche, y versa la liqueur brune, puis la lui ferma rapidement avec le drap.

Quelques instants s’écoulèrent et l’agonie commença.

Dragomira lâcha sa victime. La malheureuse cria au secours ; mais personne ne l’entendit.

« Voici celle qui doit te sauver, dit Dragomira fièrement et comme inspirée ; c’est moi, pauvre pécheresse, qui t’ouvre le chemin du ciel. »

Un dernier râlement, et ce fut tout ; Mme Samaky n’était plus.

Dragomira s’agenouilla auprès du lit et se mit à prier à haute voix :

« Seigneur, sois miséricordieux pour sa pauvre âme ; remets-lui sa faute, et aie pitié de tous ceux qui errent et pèchent sur cette terre. »

Au bout de quelques instants, Dragomira ouvrit la fenêtre et alla dans le jardin pour enterrer au plus épais des broussailles le mystérieux flacon et le verre où était resté un peu de résidu. Au moment où elle revenait vers la maison, une forme sombre se détacha de la muraille.

« Qui est là ? demanda Dragomira.

— Moi, Sergitsch.

— C’est fait.

— Elle est morte ?

— Oui.

— Est-elle morte volontairement ?

— Non, elle s’est défendue.

— Espérons que Dieu aura pitié d’elle et acceptera votre action comme une expiation de ses péchés.

— Maintenant, je vais m’en aller, dit Dragomira, je n’ai plus rien à faire ici.

— Non, vous devez rester, Il faut veiller la morte jusqu’à ce que je revienne.

— Alors, je reste. »

Sergitsch s’éloigna et Dragomira rentra dans la maison. Elle ferma la porte de la chambre où gisait la morte, prit la clef, s’étendit sur un divan dans l’antichambre, se couvrit de son manteau et s’endormit. Elle reposa paisiblement, immobile elle-même comme une morte, avec l’innocent sourire d’un enfant, jusqu’au matin, jusqu’au moment où le soleil apparut