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LA PÊCHEUSE D’AMES.

aboyaient et montraient les dents. Deux femmes surveillaient les chaudrons qui ronflaient sur les flammes.

Pendant que Zésim, encore étonné, contemplait cet étrange tableau, il vit s’avancer une jeune et jolie femme, aux yeux brillants, à la chevelure noire et flottante, au corps élancé, de la teinte de l’ébène. Elle avait une robe rouge collante, et, par-dessus, un vêtement blanc, court et sans manches, en peau d’agneau. Elle était à cheval sur un ours apprivoisé, et elle salua Zésim d’un air à la fois fier et moqueur.

Cette étonnante créature semblait être la reine de la bande.

« Que cherches-tu chez nous, bel étranger ? dit-elle en sautant à bas du dos velu de sa sauvage monture. Si tu veux me faire un cadeau, je te prédirai l’avenir, car je vois tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera. »

Zésim lui donna en riant une pièce d’argent. Elle la regarda, la mit dans son sein, et prit ensuite la main du jeune homme.

« Du bonheur, beaucoup de bonheur, murmura-t-elle en secouant la tête, mais tout cela est bien loin. De grands dangers te menacent, et de puissants obstacles s’entassent autour de toi. Tu triompheras de tout, si tu es sage, fidèle et courageux. Deux femmes se tiennent sur le chemin de ta vie ; tu les aimeras toutes deux, et toutes deux te donneront leur cœur. Pourtant, il en est une dont tu dois te garder : elle menacera ta vie, et si tu n’es pas prévoyant, elle t’apportera la mort Mais un ange veille sur toi et te montrera le chemin du salut.

— Que vois-tu encore ?

— Tout le reste est obscur, confus ; mais ta ligne de vie est croisée ; prends garde ! »

En ce moment on entendit comme une plainte mystérieuse flottant à travers les cimes des arbres.

« Qu’est-ce ?

— Ferme tes oreilles et tes yeux, dit la bohémienne, il n’est pas bon d’être dans le voisinage, quand ils passent.

— De qui parles-tu ?

— Entends-tu le psaume de la pénitence ? Ce sont les dévots pèlerins de cette secte que l’on nomme les Dispensateurs du ciel. Il y a une odeur de sang dans l’air. Prends garde ! »

Zésim partit brusquement et se dirigea en hâte à travers les fourrés vers la rivière dont les flots scintillaient entre les troncs noirs. Des coups de rame retentissaient, et un chant