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LA FEMME SÉPARÉE

Je lui parlais de ses œuvres — deux nouvelles que j’avais lues — et je reprochais en général à la poésie de nous tromper, à notre détriment souvent, sur les hommes et sur les choses.

— Elle a tort, dans ce cas, dit-il vivement ; la poésie qui trompe ne remplit pas son but. Il y a de vrais et de faux prophètes. Le vrai prophète est un prophète de vérité ; il montre la vie aussi misérable, aussi triste qu’elle l’est réellement : les hommes, sans cacher leur égoïsme, leur folie et leur bassesse. Seulement, la poésie nous indique aussi la route qui nous éloigne de cette « vallée de larmes », elle nous attache des ailes, qui nous permettent de planer, de nous élever au-dessus de cette corruption, qui nous en délie en quelque sorte.

— Vous croyez donc à vos écrits ? dis-je, non sans une pointe d’ironie.

— Sans doute, répondit-il.

— Vous croyez donc qu’il y a des êtres parfaits qui vivent parmi nous, créatures d’argile ?

— Je n’y ai jamais songé, répondit-il ; mais qu’il y ait des hommes qui portent en eux un idéal, qui préservent cet idéal de toutes les désillusions, qui s’entêtent à la recherche de la vérité, et qui, une fois qu’ils l’ont trouvée, vivent dans le but de la propager, poussés par leur idéal, — pour cela, je n’en doute pas.