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LA FEMME SÉPARÉE

— Où croyez-vous que je pris alors la force de brutaliser ainsi cet homme ?

— Dans la rancune que vous lui gardiez de ce qu’il vous avait fait violence, dis-je en hésitant.

— Non, mon ami, mais bien dans une nouvelle passion.

Il y avait depuis quelque temps dans notre société un comte allemand, dont le prestige enchantait toutes les femmes. Il avait beaucoup vu, beaucoup voyagé ; il avait un peu vécu dans tous les mondes, et en avait rapporté ce vernis si séduisant où se mêlent l’art, la galanterie et la littérature, et qui souvent rend irrésistible. Un bel homme, au front rêveur, aux manières aristocratiques, un vrai Lovelace enfin.

Sa tristesse, sa mélancolie éveillèrent mon intérêt. Je fis sa connaissance, et je l’aimai. Il était marié à une femme qu’il avait adorée. Elle l’avait trompé, puis elle s’était enfuie. Il n’en parlait guère et ne confiait à personne ses soucis. Je m’efforçai de le distraire, de l’égayer ; il se lia étroitement à moi, je devins sa maîtresse.

Nos rapports furent des plus étranges. Je vécus avec lui un roman complet, du premier chapitre au dernier, un roman de plusieurs volumes, mais un roman comme ceux que l’on écrit en France, riche en aventures, en intrigues, captivant, curieux