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LA FEMME SÉPARÉE

après une longue et pénible absence. Enivré par la félicité, il était tombé à genoux, tout tremblant, et cachait sa tête contre ma poitrine.

— Je ne t’aime pas, dis-je tout à coup, en le rejetant en arrière. Va-t’en !

— Tu ne m’aimes plus ? dit-il, épouvanté.

Je lui répondis par un grand éclat de rire, qui le fit pâlir jusqu’aux lèvres.

— Je ne t’ai jamais aimé, m’écriai-je ; — son abattement me donnait du courage ; — je te méprise, laisse-moi, et ne t’avise pas de reparaître jamais à mes yeux, sans quoi…

Je fis un geste dont je me souviens, le geste que j’avais sur un de mes portraits, là où j’étais en Judith et où j’allais attaquer Holopherne.

Les lèvres blêmes, le regard troublé, il saisit les pistolets de mon mari, accrochés à la muraille.

— Tue-toi, m’écriai-je, sans faire un mouvement, car tu as détruit la fidélité, la foi que je possédais en moi-même ; tue-toi, expie ton crime, et je te pardonnerai.

Il se frappa le front contre la muraille, se jeta à mes pieds, me nomma son Dieu, se traîna par terre.

Je le regardai curieusement, puis je lui dis :

— Ma parole, tu es ridicule !

Et je me mis à rire si fort, que mes joues étaient mouillées de larmes.