Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LA FEMME SÉPARÉE

comparais à celles des Vénus du Titien, de la Danaé de Van Dyck, et je me disais que moi, j’étais encore plus belle que les créatures idéales de nos grands peintres.

Je couvrais de baisers mes épaules, mes bras, mes genoux avec une sorte d’adoration. Je dénouais mes cheveux dont les ondes brillantes se déroulaient et m’enveloppaient comme un manteau sombre, sous lequel se relevait l’éclat rosé de mon corps, pour le moins aussi avantageusement que celui d’Hélène Forman sous ses célèbres fourrures. Je pleurais de rage, à l’idée qu’il ne m’était pas accordé, comme à la femme de Rubens, de m’éterniser par la toile d’un grand artiste, dans ma beauté complète et dénuée de tous voiles. J’aurais voulu me sentir immortelle dans l’avenir, comme la Vénus de Milo.

Aussi, je vous assure que, de tous ceux qui m’adoraient, je n’en aurais pas rencontré un seul qui m’admirât comme je le faisais moi-même. C’est pourquoi je trouvais tous les hommes indignes d’un tel bonheur. Malheureusement, le fruit était assez mûr pour tomber de lui-même dans la main du premier qui le toucherait.

Voyez-vous, mon cher Sacher-Masoch, tout le danger de notre société, de notre vie de famille, vient de ce que la femme a essentiellement pour vocation l’amour.