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LA FEMME SÉPARÉE

Après cinq ans d’une vie dissipée, un grand jour se fit dans mon cerveau, et je découvris que le véritable bonheur m’était inconnu.

Comme d’autres, que l’évanouissement de leurs illusions pousse à l’égoïsme, un sentiment inconnu s’éveilla en moi. Je ressentis un besoin d’idéal et un besoin d’amour.

On ne m’avait pas appris à remplir ou seulement à connaître mes devoirs. Ce qui, jusque-là, m’avait empêchée d’y manquer, c’était mon orgueil insurmontable. Dans la foule de mes adorateurs, il n’y en avait pas un, fût-il bon et noble, qui eût trouvé grâce à mes yeux. Tous les hommes qui me voyaient s’éprenaient de moi. Il ne m’était jamais venu à l’idée de faire un heureux.

On me trouvait sévère, froide, dépourvue de cœur. Ma vertu enthousiasmait les femmes, qui ne voyaient pas en moi une concurrente redoutable. Souvent, la nuit, lorsque tout dormait dans la maison, lorsque je me sentais bien seule, je sautais bas du lit, j’allumais toutes les bougies des candélabres à cinq branches accrochés dans la muraille et qui se reflétaient dans mon immense miroir. Puis, je me débarrassais de mon vêtement de nuit, et je me contemplais avec une extase qu’il eût à peine été possible de rencontrer chez l’amant le plus passionné. Je regardais mes formes, je les