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LA FEMME SÉPARÉE

La vie des eaux m’avait mise en rapport avec toute la noblesse de la contrée ; dans mon salon, à Lwow, où nous passions l’hiver, les modestes amis de mon mari étaient effacés par mes princes et mes comtes, mes comtesses et mes baronnes ; j’acquis bientôt la réputation de la plus grande beauté de la capitale, et même de tout le pays. On fit mon portrait en Judith, en Hélène, en madone et en Vénus. Les poètes me célébraient, et je tenais, dans les tableaux vivants que donnait l’aristocratie, les rôles de Rébekka et de la reine Wanda.

J’étais devenue mère de deux jolies petites filles. Mais je n’avais pas le temps de m’en occuper. Oui, vous avez beau me regarder, j’ai été une mauvaise mère…

— Ce n’est pas pour cela que je vous regarde.

— Eh bien, pourquoi alors ?

— Parce que… Non, je ne veux pas vous rendre plus vaniteuse que vous ne l’êtes.

Réellement, je ne pouvais me rassasier de contempler cette petite tête, modelée comme celle d’une statue grecque, ce profil admirable, d’une pureté étonnante.

— Comme je vous l’ai dit, je m’amusais, continua-t-elle. Mais bientôt je sentis en moi un grand vide ; tous mes désirs étaient accomplis, et néanmoins je n’étais pas heureuse.