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LA FEMME SÉPARÉE

Nous traversons aussi nos périodes géologiques. Il vient toujours un temps pour nous où nous voguons en pleine mer, baignés par les chauds rayons du soleil. Puis, notre cœur se refroidit, s’éteint, et nous en arrivons à douter qu’il ait jamais vécu.

Mme de Kossow me jeta un regard ironique.

— Des phrases !

— Non. Ce ne sont pas des phrases, dis-je.

— Dans ce cas, reprit-elle d’une voix forte, chez moi ce triste procès humain n’a pas encore pris fin. Mon cœur souffre souvent, et tressaille, et saigne. Puis, mon ami, songez qu’il y a d’autres cœurs qui restent toujours jeunes, toujours bons et chauds.

— Croyez-vous à l’idéalisme ? lui dis-je.

— Il le faut bien, mais vous n’ignorez pas qu’il y a deux sortes d’idéalisme, de même qu’il y a deux espèces d’hermine, une vraie et une fausse.

Elle jeta la pétrification qu’elle avait à la main, sauta à bas de son piédestal improvisé, et s’assit toute songeuse sur un tas de pierres peu élevé.

— J’ai connu autrefois un véritable idéaliste, continua-t-elle après une longue pause. Il aurait pu servir de frère à Don Quichotte.

— Trouvez-vous que les idéalistes sont ridicules ?

— Trouvez-vous Don Quichotte comique ? repar-