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LA FEMME SÉPARÉE

L’après-midi du même jour, nous nous promenions dans la carrière de Tudiow ; elle était encore toute frémissante de l’émotion qu’elle avait ressentie dans la matinée.

Je l’avais rencontrée dans la prairie, où, tout en fumant un papyros, elle assistait aux ébats des jeunes chevaux qui gambadaient dans les pâturages, comme des enfants étourdis. Elle prit mon bras sans façon, et me conduisit au pied d’une colline boisée qui limitait ses possessions, et dont les rochers calcaires renfermaient un grand nombre de pétrifications, des membres d’animaux, des coquillages et des écrevisses, parfois fort curieux.

Mme de Kossow monta sur un énorme bloc de rocher grisâtre, que les ouvriers avaient récemment détaché, et regarda devant elle, dans l’immensité bleue et sereine. Et quand je la vis là, devant moi, avec sa magnifique robe de soie, sa kasabaïka fanée, ses joues rosées par la fièvre, et son regard rêveur, elle me fit pitié ; il me sembla que j’eusse voulu faire tout au monde pour lui rendre une parcelle du bonheur qu’elle avait perdu.

Au bout d’un moment, elle se baissa, ramassa une pétrification et la regarda avec attention.

— Devenons-nous jamais ainsi ? demanda-t-elle à voix basse.

— Sûrement. Nous avons aussi notre « déluge ».