Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
LA FEMME SÉPARÉE

— N’est-ce pas révoltant, dites, de voir cette même société qui repousse la jeune fille, la femme qui s’est laissé séduire par elle, n’est-ce pas révoltant de la voir souhaiter la bienvenue à une Messaline de coulisses, parce qu’elle est l’épouse d’un comte ? Est-ce moral, ça ? Est-ce juste ?

Mme de Kossow arpenta fiévreusement la salle.

— Comment pouvez-vous exiger de la justice, répondis-je, là où la mesure du juste et de l’injuste n’existe plus ? Les liens du mariage, la famille, menacent chaque jour de sombrer, et cependant personne ne peut prévoir ce qui les remplacera. Ce qu’il y a de triste, c’est que nous vivons précisément dans une époque de transition où les rapports existants ne nous contentent plus, mais cependant ont conservé assez de puissance, si quelque infortuné cherche à les rompre, pour l’anéantir et l’écraser.

— Oui, l’écraser ! C’est le mot, répéta Mme de Kossow en grinçant des dents, l’écraser ! Moi, savez-vous ? j’ai aussi été écrasée.

La jolie femme s’arrêta et me regarda à travers les larmes de rage qui formaient sur ses yeux comme un voile. Puis elle s’assit et baissa la tête. Elle parut attendre mes questions sur son sort et sur sa vie agitée. Mais je n’osai parler, craignant d’interrompre la douleur muette où elle s’était abîmée.