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LA FEMME SÉPARÉE

cette pensée, à la fois sombre et douce, s’emparait de moi, une ombre prolongée se dessina sur l’allée sablée. Mon cœur se mit à battre jusque dans le cou. C’était elle, sans doute. Une robe de femme fit entendre son bruissement… Je n’avais encore nulle certitude, mais les vers de Pouschkine me revinrent à la mémoire, et je murmurai dans le crépuscule :

Je t’aimai ; peut-être que cette flamme
Que j’ai cru éteinte brûle encore dans mon cœur.

Ma voix résonna, claire et distincte, dans le calme du soir. J’entendis des pas pressés se précipiter sur le gravier, qui grinça à mes oreilles.

Une femme svelte, de grandeur moyenne, s’avança vers moi avec une grâce sauvage. Je la reconnus : c’était mon apparition de la forêt. Elle aussi se rappela m’avoir déjà vu quelque part.

— Que voulez-vous ? Pourquoi me poursuivez-vous avec ces vers qui me font mal ? s’écria-t-elle, laissant quelques pas entre nous ; elle s’arrêta.

— Une circonstance m’amène auprès de vous, répondis-je.

— Une circonstance ?

Je me nommai. Elle me regarda d’un air hostile.

— Dans ce cas, venez, me dit-elle d’un ton bref et sifflant.

Elle rejeta la tête en arrière, et se dirigea vers