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LA FEMME SÉPARÉE

Je me penchai sur le pommeau de ma selle, sans répondre, car j’ai le principe de toujours laisser les gens s’expliquer tranquillement : c’est de cette manière qu’on apprend à connaître des caractères curieux, et qu’on entend de bonnes histoires.

— Et Mme de Kossow ? dis-je enfin.

— Ne vous éprenez pas d’elle. Éprenez-vous de moi plutôt, dit la Ninon de l’Enclos russe. Avec moi vous reprendriez rapidement possession de vos sens. Vous êtes un philosophe altier. Mais, si jamais votre philosophie ne vous suffisait pas tout à fait, venez vers moi, dites. Je m’entends à guérir les âmes malades.

En disant ces mots, la sirène rit de toutes ses jolies dents.

À ce moment, je crois que j’eusse donné ma philosophie entière, et par dessus le marché ma tête, pour un baiser de ses lèvres rouges.

Pour aujourd’hui, adieu ! Elle cingla l’encolure de son cheval, et s’éloigna au galop, se balançant sur la selle avec une ravissante désinvolture.

L’été se passa au milieu de tant de travaux et d’occupations, que je n’eus guère l’occasion de me rapprocher de Mme de Kossow ou même de la revoir. L’automne approchait. Il fut question de l’élection d’un député dans notre district. Le parti démocratique s’agita de toutes ses forces, il se fit une véritable chasse aux voix.