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LA FEMME SÉPARÉE

créée exprès pour le culte de l’amour cynique, et elle s’y adonna corps et âme. Elle se mit généralement au-dessus des prescriptions de l’Église, des préjugés de la société ; elle méprisa le mariage et s’empara, ouvertement et sans hésiter, des droits de l’homme. Bien qu’elle changeât rapidement d’amants, elle ne se donna jamais, comme nos femmes chrétiennes, à deux hommes à la fois. Et comme elle se montra sévère dans le choix de ses adorateurs ! La force et la beauté ne suffisaient pas à exciter son intérêt. Elle exigeait de l’esprit et du caractère. Elle-même, en toute occasion, fit preuve de la plus grande honnêteté et du plus complet désintéressement. Elle refusa jusqu’au plus petit cadeau de ses adorateurs. Elle vit les hommes les plus importants, les plus nobles de la France, heureux dans ses bras. Son salon réunissait les meilleurs éléments de la cour, de la société, du monde de la pensée. Les gens de talent, de mérite et de réputation intacte en avaient seuls l’entrée. C’est à elle la première que Molière lut son Tartuffe. Et comme ses principes s’accordaient avec les lois de la nature ! La preuve, c’est qu’à soixante ans elle était encore fort belle et fort séduisante, et même qu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans elle jouissait encore d’une belle santé et d’une excellente humeur, et qu’elle put repousser en riant les tentatives de conversion que