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LA FEMME SÉPARÉE

et que peut-il y avoir de plus idéal que la beauté, la joie, le bonheur ? Mais de votre idéalisme insensé, je n’en veux rien savoir. Je ne crois qu’à l’amour selon les lois de la nature, et je suis persuadée que vous vous créez vous-même vos soucis et tous vos chagrins, parce que vous demandez à l’amour ce qu’il ne comporte pas, ce qu’il ne peut donner, c’est-à-dire la durée. Pour ma part, je n’ai jamais été étonnée de voir quelqu’un qui mange être rassasié. Je trouve tout naturel que l’amour qui naît du désir, s’éteigne lorsque ce désir est satisfait. N’est-il donc pas tout à fait absurde d’agir contre la nature ? Si l’on veut que l’amour devienne éternel, il faut ne jamais le satisfaire, c’est une vérité bien ancienne dont la preuve nous a été fournie par la Béatrice de Dante et la Laure de Pétrarque. Les juifs et les chrétiens seuls ont peuplé le monde de démons. Ce qui est naturel ne peut être mauvais ni nuisible ni honteux. La morale, au contraire, que l’on s’obstine à vouloir mêler à l’amour, n’est qu’un raffinement habilement voilé.

Involontairement, je me mis à rire.

— Ne riez pas ! s’écria Katinka. Personne n’attache plus de prix à la sensualité que les gens qui soumettent leurs joies à des lois de moralité, à un code sévère, qui les mettraient, s’ils pouvaient, au cachot. Quel attrait nous offre l’innocence, la virgi-