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LA FEMME SÉPARÉE

l’homme, à l’exception de vous, Tartare, qui refusera ses baisers à mes lèvres ?

— Vous savez que je vous estime !

— Et vous le devez, mon cher ! Durant mon union de neuf ans avec un vieillard, je n’ai jamais, même en pensée, flétri son honneur. Je n’ai trompé personne. Et je ne me suis jamais, comme nos vertueuses coquettes, plu, en manière de passe-temps, à faire endurer aux hommes des tortures. Si cela m’a amusée pendant quelque temps, de voir une tête puissante courbée sous mon joug, d’étourdir quelque grand penseur, de dérouter la rouerie d’un Lovelace expérimenté ou de tendre mes pieds à baiser à quelque sévère Caton, il n’y en a pas un, jusqu’à présent, qui m’ait trouvée impitoyable, excepté quelques scélérats ou des imbéciles. J’ai initié plus d’un jeune homme aux plaisirs et aux beautés de l’amour antique, alors que la fréquentation des filles avait éteint en lui tout idéal ; j’ai aussi consolé plus d’un honnête homme de l’infidélité de sa femme. Laquelle peut dire, entre toutes ces saintes chrétiennes, toutes ces pécheresses sentimentales, qu’elle n’a jamais vu autour d’elle que des heureux ?

— Alors, vous ne croyez donc pas à la vertu, à notre idéal ?

— Je crois à l’idéal, repartit-elle brusquement,