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LA FEMME SÉPARÉE

je me levai et j’embrassai Julian sur le front ; il frissonna profondément sous ce saint baiser et saisit ma main. — Je la lui retirai.

Mes souffrances augmentèrent de jour en jour et me rendirent cruelle et injuste. Je finis par être brutale et méchante à l’égard de l’homme que j’avais si vivement offensé, et comme il cessa de me rendre visite, je l’assaillis de reproches en lui écrivant de revenir. Je ne me comprenais plus moi-même. Un temps bien dur arriva. Je ne pouvais plus quitter le lit, je manquais d’argent, et, pour combler la mesure, Mme Barwizka découvrit la position de sa fille. Il y eut une scène atroce. Le frère voulait tuer le séducteur. Le jour de cette affreuse catastrophe, Julian vint me voir pour la dernière fois. Il remarqua avec un triste sourire que les dames Barwizka s’étaient tout à fait établies chez moi. Wally portait ma robe de chambre ; Ottilie, une de mes jaquettes de fourrures. Il vint vers mon lit, et me prit les deux mains.

— Je viens prendre congé de toi, dit-il.

— C’est bon. Mais ne fais pas de scène. Tu sais que cela m’agite.

Il s’inclina, très calme, et sortit.

Je n’avais pas été assez humiliée. Il fallait que je subisse encore une humiliation, la plus cruelle de toutes.