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LA FEMME SÉPARÉE

rendre utile à l’humanité. Là-bas, on livre des combats vraiment utiles. Et puis, dans de nouvelles contrées, au pied de ces montagnes neigeuses, parmi des peuplades inconnues et des animaux sauvages, je retrouverai le bonheur, peut-être…

— Non ! non ! tu ne partiras pas ! m’écriai-je toute pâle. Je ne le veux pas, moi ! Je t’aimerai dès que tu voudras de mon amour. Mais ne pars pas, je t’en conjure. J’ai déjà assez sur la conscience. Julian ! promets-moi de ne pas partir.

Mon émotion était profonde. Il me vit si effarée qu’il me jura de rester.

— Et toi, lui demandai-je, peux-tu oublier ?

Il me regarda d’un air étrange et dit :

(Mme de Kossow se renversa rêveusement dans son fauteuil, les bras croisés sur sa nuque, les yeux au plafond. Et elle récita à demi-voix ces vers admirables de Pouschkine :)

Les montagnes de Géorgie sommeillent baignées d’une douce torpeur.

Devant moi écume l’Aragua.
Je me sens triste et pourtant gai. — Mon chagrin
Est effacé par ta douce image. — Tu es près de moi,
Mon unique amour ! Ma douleur
N’est troublée par rien. Rien ne la calme.
Mon cœur bat de nouveau ; il vit et brûle,
Parce qu’il lui est impossible de ne pas aimer.
Je t’aimai, toi. Peut-être que ce feu
N’est pas entièrement éteint dans mon cœur.
Cependant, je désire avant tout ton repos,