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LA FEMME SÉPARÉE

— Je reçus le soufflet, muette, sans larmes, sans chercher à me défendre, sans détourner la tête.

— À présent, je crois sans peine que le monde a raison de te repousser, dit Julian d’une voix âpre et railleuse, qui glaça mon sang dans mes veines. Oui, il a raison de te mépriser, de te prendre pour une courtisane. Je crois que tu as souvent fait quelques bonnes petites affaires à tes heures de liberté. Je crois aussi que tu t’es vendue au prince ; je crois tout… oui… tout !

Ce fut alors seulement que je me mis à pleurer, à me maudire et à maudire mon sort.

Julian marchait à grands pas dans la chambre, fiévreusement, en regardant autour de lui comme un insensé. S’il avait aperçu à ce moment le grand couteau dont Wally se servait pour fendre le bois, et qui était derrière le miroir, il m’aurait tuée, quitte après à se brûler la cervelle. Il me l’avoua plus tard. Wally se jeta à ses genoux, en joignant les mains.

— Ne la tuez pas !… s’écria-t-elle du plus profond de son âme. Ayez pitié de moi et du pauvre petit être que je porte dans mon sein !

Cela émut Julian.

Il s’arrêta, prit la tête de Wally, la baisa au front, et dit :

— Je ne la tuerai pas. N’ayez pas peur.

— Tue-moi ! m’écriai-je, en le dévorant du regard.