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LA FEMME SÉPARÉE

chacune de nos soirées en bacchanale. Julian, se disait : « Cette femme, qui en aime un autre, qui peut-être, dans mes bras, pense avec extase à ce coquin, est absolument à ma merci. Elle est ma chose, comme une odalisque de sérail. » — Et moi, moi la traîtresse pardonnée, l’hypocrite qui, en vérité, haïssait cet homme, parce qu’il était meilleur que moi, parce qu’il était fort et que j’étais lâche et faible, j’éprouvais une volupté immense à le sentir amoureux, à le voir à mes pieds demandant mes faveurs avec des larmes, comme un esclave, à le voir consumé de désirs, pâle, les yeux humides de lueurs passionnées. J’aimais à le regarder sur ma gorge nue, tandis que, le menton dans ma main, ironique, je comptais ses pulsations, je constatais sa pâleur, je sentais le frémissement de ses nerfs, quand il finissait par s’abattre sur ma poitrine, comme mort, sans un souffle.

Ce ne fut que lentement, et peu à peu, qu’un sentiment plus doux s’empara de moi. Il me donna l’espoir que tout s’arrangerait et que je pourrais encore être heureuse.

Cependant, Mezischewski se remit bientôt à m’écrire, à l’insu de Julian, des lettres de douze pages, dans lesquelles il accusait la Providence de l’avoir fait naître, de m’avoir créée, d’avoir formé le monde ; il finissait invariablement par la menace de se tuer et de me tuer, moi aussi.