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LA FEMME SÉPARÉE

nes de laurier. Il vint les déposer à mes pieds tout rayonnant.

L’émotion de la soirée réveilla en moi le désir de me vouer au théâtre. Je songeai à me rendre indépendante, à me créer une carrière. Je ne voulais pas quitter Julian. Je voulais simplement ne plus rien lui devoir.

Et je trouvais superbe l’idée de jouer dans ses pièces, de créer ses rôles de femmes. Je ne lui fis pas la confidence de mes projets. Mais j’arrangeai tout en cachette, aidée par Turkul. Hélas ! je n’eus pas le temps de vaincre les difficultés qui entravaient ma route ; la discorde éclata entre Julian et moi. Ses créanciers le pressaient de jour en jour. Ma position devenait intolérable. Souvent, nous manquions du nécessaire. J’économisais cependant de toutes mes forces ; je mis mon argenterie, mes bijoux au Mont-de-Piété. Je recommençai à broder pour une grande maison de confections. Cela nous rapporta quelques kreutzer. — Je vous le dis franchement, il soufflait un vent d’orage dans notre jolie maison aux jalousies vertes. Un jour… je n’y tins plus. Je fis à Julian une scène terrible, je l’accusai de notre misère, — je lui reprochai la position où nous nous trouvions, son manque d’amour pour moi. J’étais furieuse, parce qu’il ne pleurait pas avec moi, parce qu’il supportait les outrages du sort avec calme, résigné, patient,