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LA FEMME SÉPARÉE

— La femme séparée, répondit le jeune homme aux lunettes bleues, elle demeure à Tudiow, de l’autre côté de la forêt.

— Pourquoi ne l’appelez-vous pas la femme malheureuse ? interrompit un vieux monsieur, avec un sourire sarcastique. Mme de Kossow n’en est-elle pas tout à fait le type ?

— Comment l’entendez-vous ?

— Vous n’avez donc pas encore fait la connaissance de cette « femme incomprise », de ce masque caractéristique, triste à la fois et ridicule, de notre société moderne ? Ah ! je vous envie !

— Je vous en prie, expliquez-vous.

— Que vous dire ? s’écria le vieux monsieur avec une méchante joie. C’est la plus noble et la plus dangereuse de nos plaies sociales. Elle est sympathique et belle. Pâle, son visage à l’ovale délicat est encadré d’une chevelure soyeuse. Elle a un regard profond, étrange, triste et passionné, en un mot irrésistible. Une sorte de charme émane de sa personne. L’attouchement de sa main, d’une boucle de ses cheveux, est électrique. Elle semble se renfermer en elle-même, et pourtant elle a toujours sur les lèvres ses secrets les plus chers. De ceux qui la fréquentent, ce sera toujours un inconnu, un homme qu’elle verra pour la première fois, qu’elle fera dépositaire de ses confidences, à qui elle ra-