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LA FEMME SÉPARÉE

mandai-je à ma jolie narratrice, qui venait d’interrompre son récit pour rouler entre ses doigts mignons une nouvelle cigarette.

— Oui et non, dit-elle après un instant de réflexion. Mon Dieu, les germes de notre désunion existaient déjà à cette époque. Julian, qui agissait loyalement, qui haïssait l’hypocrisie de la vertu et ne cachait nullement nos rapports aux yeux du monde, exigeait qu’il accordât à notre liaison les droits et le respect d’un vrai mariage ; il invoquait les lois, bien que la loi ne nous abritât point de la morale dans l’immoralité ; il demandait à la société d’estimer une union qui n’avait pas été bénie par le prêtre. C’est cela, avant tout, qui occasionna la terrible catastrophe qui nous sépara à jamais. Si je n’avais pas quitté mon mari, si Julian eût été mon amant publiquement, comme mon beau-frère, et comme le comte, les âmes chrétiennes m’auraient, à coup sûr, extrêmement respectée. Mais le cas étant tout autre, elles me jetèrent la pierre parce que j’agissais loyalement et ouvertement. Je fus méprisée, humiliée, par ces mêmes êtres qui se courbaient devant moi, qui m’appelaient leur chère amie et qui me baisaient les mains lorsque je trompais mon mari de la manière la plus infâme.

Voyez-vous, mon cher ami, je me suis souvent