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LA FEMME SÉPARÉE

de clair de lune. L’un, qui suspend aux arbres des pommes et des noix d’argent ou d’or, et fait étinceler chaque rameau, transformant la nature en un gigantesque arbre de Noël ; l’autre, triste, désagréable, et qui voile le paysage de suaires.

Comme je traversais le fourré où se jouaient encore les derniers rayons du crépuscule, un frisson indescriptible me courut dans le dos. Un soupir profond passa à mes oreilles. Puis un rire clair et diabolique éclata entre les branches. C’étaient sans doute quelque grenouille dans le marais voisin et un chat-huant qui volait à la recherche de sa proie. C’est égal, c’était fort désagréable.

Et soudain il me sembla que l’apparition merveilleuse marchait à mes côtés. Je n’osais lever la tête, de peur de la dissiper. C’est de l’autre côté de la forêt, dans la direction de mon village, aux maisons blanches, qu’elle m’avait quitté. Je me retournai. Derrière moi, filait seule la douce clarté de la lune, et cependant le fol esprit me poursuivit, même en rêve, et ne me quitta qu’aux premières clartés de l’aube.

Je réfléchis sérieusement à cette aventure, et je passai en revue toutes les femmes du voisinage.

À plusieurs reprises déjà, il avait été question dans notre société, à mots couverts, d’une femme séparée de son mari, et qui vivait seule, retirée