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LA FEMME SÉPARÉE

— Savez-vous, nous dit-il, que votre belle-mère bout de jalousie ? Son imagination lui présente votre bonheur sous des couleurs si vives, qu’elle n’aura pas de cesse jusqu’à ce qu’elle ait goûté aux mêmes joies ? Et savez-vous qui, auprès d’elle, est appelé à se charger du rôle de Julian ? Eh bien, mes enfants, c’est moi.

Nous rîmes aux larmes. Cette plaisanterie, du reste, menaça bientôt de nous causer de véritables désagréments.

Là-dessus, Turkul entra dans l’armée et fut, grâce à l’intervention de son père, promu au grade d’officier en moins de deux jours. Comme il devait, une semaine plus tard, rejoindre son régiment qui l’attendait en Bohême, il nous rendit visite chaque jour, et nous nous amusâmes comme trois bons amis, gaîment et avec insouciance, en vrais enfants. Mais Turkul était toujours maussade lorsque notre vie s’écoulait paisiblement, il ne se sentait à son aise que lorsque la situation se tendait et tournait au drame, quand il y avait chez nous des luttes, des scènes, des catastrophes à prévoir. Il jouait le rôle de double confident avec une joie immense, et ne se sentait pas de plaisir lorsqu’il pouvait nous servir d’intermédiaire. Souvent même il nous brouilla volontairement par ses cancans, pour s’offrir la joie de nous réconcilier.