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LA FEMME SÉPARÉE

Il n’y a pas jusqu’aux chansons de Béranger qui, comparées à celles de Kolzow, sont fades et ternes. Et Turgenjew ! J’éprouve, en lisant ses œuvres, la sensation d’un homme qui subirait, tout vivant, une analyse anatomique. Notre poésie, à nous, c’est la poésie des idées et de la réflexion. La vôtre, c’est la poésie des sens, de la nature, c’est celle d’Homère et de Shakespeare. Vos poètes ne voient pas la nature à travers un verre comme les nôtres. Ils la voient de leurs propres yeux, sains et brillants ; là où nous voyons une couleur, ils en voient cinq. Ils ne restent pas assis dans leurs bibliothèques et leurs cabinets d’études, mais ils errent dans la campagne à travers les bois, dans les champs et les marais. Puis, quand ils écrivent un volume, ils l’intitulent : Récits d’un Chasseur[1].

Julian venait de terminer une petite nouvelle ; il la lut à Würger. L’Allemand, généralement si impitoyable envers ses collègues, l’écouta avec beaucoup d’attention ; lorsque Julian eut terminé sa lecture, Würger se leva et resta longtemps sans parler.

— Qu’en pensez-vous ? hasarda Julian timidement.

  1. Turgenjew.