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LA FEMME SÉPARÉE

est dominé par le ciel, clair et bleu, où brille le soleil avec ses rayons tièdes, qui réchauffent déjà sans brûler.

Le son des clochettes de quelque troupeau perdu dans le lointain arrive à mon oreille. Des pies m’entourent, avec leur babil étourdissant, levant et baissant leurs queues en cadence. Des corneilles se promènent gravement entre les sillons ; des alouettes gazouillent, des cigognes planent haut dans l’air, et s’évanouissent dans l’azur ; je les suis du regard ; elles ne sont maintenant pas plus grosses que des hirondelles ; mes yeux sont remplis de larmes.

L’homme, lui aussi, est saisi par ce rapide palpitement de la nature. Sa poitrine se soulève plus libre, son cœur bat plus vite, une douce inquiétude, une mélancolie étrange s’emparent de son être. Il aimerait pouvoir planer ainsi que les cigognes, se perdre comme elles dans l’azur. Il aimerait se couper un bâton dans le taillis vert et tendre, et s’éloigner, et errer. Il croit de nouveau à la joie, au bonheur et à l’amour, une force invisible le pousse à se mettre à leur recherche.

Ce sentiment inconnu fondit sur moi, avec une vigueur inouïe. Involontairement, je balbutiai ce beau vers de Pouschkine :

Les collines géorgiennes sommeillent dans la nuit,
Devant moi écume l’Aragua.