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LA FEMME SÉPARÉE

— Ton mari sait tout, s’écria Julian tout essoufflé. Je lui ai offert un duel. Il le refuse.

— J’en étais sûre.

— C’est un lâche coquin. Il veut te posséder, mais il ne te sacrifierait pas une goutte de sang. Il n’est pas malheureux de ton abandon. Ce qu’il ne veut pas, c’est que tu sois heureuse avec un autre. Mais je ne veux pas t’influencer, mon enfant. Retourne chez lui, si tu le veux.

— Non ! non ! il me tuera ! m’écriai-je en me cramponnant à Julian convulsivement.

— Quelle idée ! dit-il en pâlissant.

Et vraiment, c’est que j’avais une peur réelle. Une fois, quelques années auparavant, mon mari avait vu le nègre Ira Aldridge dans Othello, et il était rentré du théâtre très sombre. Au milieu de la nuit, il m’avait éveillée, et les paroles qu’il me dit me revenaient maintenant à la mémoire : « Si je savais que tu me trahisses, je t’égorgerais à cette heure, comme le More de Venise. »

— Tout est fini… sanglotai-je en me cramponnant toujours à la poitrine de Julian. Mes enfants ! mes pauvres enfants ! Mais je reste avec toi, car, vois-tu, il me tuerait, et j’aime tant la vie !

Nous décidâmes donc d’envoyer Turkul chez les parents de Julian et dans ma famille pour leur annoncer ce qui était arrivé, Moi, je resterais dans