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LA FEMME SÉPARÉE

miration. Tout est passé maintenant ! Nous nous sommes dit peu de chose. Qu’aurions-nous dit, hélas ! que m’aurait-elle répondu si je lui eusse beaucoup parlé ? Dans un tel moment, on n’a guère besoin de paroles. Nous avons vécu dans la même maison, porte à porte, comme mari et femme, sans l’être ; c’est ce qui a tout perdu. Nous devînmes amis avant de devenir époux, je lui dis tout cela, à cette chère petite. Je lui dis que nos âmes étaient sœurs et que ma nature se révoltait à l’idée d’épouser ma sœur, que j’entourais d’une amitié sainte.

» Je lui dis aussi que j’étais prêt à faire mon devoir si elle l’exigeait, que je l’épouserais, mais sans amour ; je lui dis combien j’avais lutté, souffert, combien ma force décroissait de jour en jour à la vue de cette femme que j’adore, et à laquelle je suis décidé d’appartenir à la vie et à la mort, quitte à être repoussé du pied lorsqu’elle ne me voudra plus.

» Je n’en puis plus, vraiment. Je suis comme anéanti. Nos yeux se remplirent de larmes… Je me détournai. Elle tâcha de me consoler.

» Puis nous nous séparâmes, sans un reproche.

» Je comprends l’histoire du comte de Gleichen, maintenant que les deux natures dont Derschawin parle dans son Ode à Dieu se sont réveillées au-de-