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LA FEMME SÉPARÉE

nous vivions, de terminer sa nouvelle. Il nous la lut. Anatole était vaincu : il aimait Wanda ; il lui avait fait l’aveu de sa passion, humblement et comme un pénitent devant une image sainte.

Mon triomphe était assuré.

On ne parlait dans la ville que du jeune poète et de son talent. On louait son amabilité et ses bonnes manières.

Wanda parut dans un grand journal et eut un immense succès. Des offres brillantes furent faites à Julian. L’argent arriva à foison. Ce qu’il y eut de drôle, ce fut la façon dont Julian sut évincer en un clin d’œil tous mes adorateurs. Comme dit Sancho Pança en parlant de son maître, il se jetait, pour un oui ou pour un non, sur des centaines d’individus plus forts que lui, comme un gamin gourmand qui se jette sur un cornet de dattes. Il était très fort à l’épée ; de plus, il se mit à s’exercer chaque jour au pistolet. Vous jugez si chacun se retira. Non point par lâcheté. Plus d’un héros prêt à mourir bravement sur le champ de bataille y regarde à deux fois avant de se faire brûler la cervelle pour une femme galante. Comme Julian cherchait querelle à chacun et provoquait tous ceux qui ne s’en tenaient pas à me saluer tout simplement, on se mit à l’éviter, on lui présenta des excuses pour des offenses imaginaires, enfin on nous délaissa tout à fait.