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LA FEMME SÉPARÉE

— Nous allons voir.

Élisa se leva, tourna la clé avec mille précautions et entrebâilla la porte sans bruit. La chambre était dans l’obscurité complète. Nous nous approchâmes du lit de Julian. Et vraiment, il y dormait sur le dos, les bras croisés. On voyait sa poitrine se soulever régulièrement. Je le regardai, pétrifiée à la fois et ravie : ce doit être ainsi que Psyché surveille le sommeil de l’Amour. Nous rentrâmes doucement dans notre chambre, je me jetai sur ma couche, fiévreuse, mordue au cœur par le doute, et je rêvai une vengeance.

Il faut qu’il m’appartienne, me dis-je. Oui, il le faut, et je lui couperai l’une après l’autre ses fières boucles de Samson ; oui, et sans pardon cette fois. Il m’appartiendra à moi seule, il m’adorera, il sera ma chose, et une fois que j’aurai réussi à poser mon pied sur sa nuque, il en sentira la pression, je le jure, aussi vrai que je suis belle et qu’il n’a pas plus d’âme qu’un morceau de bois.

Le jour suivant, je retournai à la maison. Julian recommença à m’écrire des épîtres enthousiastes. Je ne lui répondis pas une ligne. Deux mois s’écoulèrent de la sorte.

J’avais eu soin, cependant, de lui faire envoyer à temps par mon mari une invitation à un grand bal qui devait avoir lieu dans notre ville d’eaux. Et il arriva.