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LA FEMME SÉPARÉE

poitrine et se tut. Deux grosses larmes perlaient à ses paupières molles et soyeuses.

Je ne la dérangeai pas. Un calme solennel nous entourait. Je me sentais ému, moi aussi. Et il me semblait voir tourbillonner à mes yeux, comme dans une vision, mes rêves détruits et mes illusions éteintes…

— Et vous vous plaignez de votre destinée ! dis-je après une longue pause. N’étiez-vous pas heureuse alors ? Ou bien croyez-vous que le bonheur a quelque chose de terrestre, que c’est un sentiment, une jouissance produite par la nature ? Non, certes. Le bonheur est un éclair sacré, un rayon qui tombe et remplit un instant notre âme, une révélation.

— Une pensée, répéta la pauvre femme.

— Un de ces instants de félicité ne suffit-il pas à racheter les souffrances de toute une vie ?

— Hélas ! que nous en reste-t-il ?

— Le souvenir.

— Oui, vous avez raison, le souvenir.

Elle se remit à réfléchir, promenant au hasard ses longs doigts blancs dans la fourrure de sa jaquette. Tout à coup, elle s’aperçut que je n’avais plus de thé. Elle remplit ma tasse avec rapidité, puis elle alluma une cigarette à la flamme de la bougie, et me regarda.

— Où en étions-nous ?