Page:Sacher-Masoch - La Femme séparée, 1881.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LA FEMME SÉPARÉE

Je pensai aussi à Julian, et je ne parvins pas à le comprendre, ni à m’expliquer son manque d’égoïsme. Puis, je me mis à écrire au comte, et ce fut vraiment extraordinaire que je me décidasse à le faire.

Je ne reçus pas de réponse. J’attendis une semaine, deux semaines, un mois. Alors, je fus saisie d’un accès de rage immense. Comment, on me traitait ainsi, moi, la plus belle, la plus adorée des femmes ! la beauté la plus parfaite d’un pays célèbre par ses jolies femmes ! Oui, on me traitait ainsi, il n’y avait plus à en douter, comme une de ces femmes à la douzaine, ou bien encore comme une petite ouvrière dont on a assez et dont on se débarrasse. Je pleurai, je frappai du pied, je m’arrachai les cheveux, je me jetai par terre, et j’eus des crises de nerfs.

Plus tard, cependant, lorsque je revins à moi, je me sentis complètement libre, offensée, possédée d’un désir de vengeance, mais point malheureuse. Ma première pensée fut pour Julian, et je me pris à sourire de tout mon cœur. « Tout est heureusement fini, me dis-je, ou plutôt je suis au commencement d’une nouvelle vie. » J’ai reçu une leçon pour le moins aussi salutaire au bien-être de mon âme, que ma dernière maladie grave l’a été pour mon corps. Je sentis en moi comme un printemps où tout croit et où tout fleurit ; je me sentis heureuse,