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LA FEMME SÉPARÉE

lement. Et je priai Julian de me faire connaître l’être merveilleux qui avait su gagner son cœur et son estime.

— Ce doit être un idéal, ajoutai-je.

Et vraiment, quelques jours après, Julian nous amena sa fiancée. C’était sa cousine. Elle s’appelait Élisa. Une ravissante jeune fille, plutôt petite que grande, aux traits nobles et fins, aux longs yeux bleus et rêveurs, aux boucles blondes et soyeuses. Plus je fus forcée de m’avouer qu’elle était charmante et d’une amabilité exquise, plus elle se montra instruite et intelligente dans ses propos, plus aussi la fureur et la haine s’éveillèrent dans mon cœur et irritèrent mon insatiable coquetterie. Lorsque Julian revint, et que nous demeurâmes un moment seuls, je ne pus rester maîtresse de moi. Je louai les charmes et les qualités de sa fiancée avec enthousiasme. Seulement, je trouvai qu’elle était créée pour le bonheur de tout homme autre que lui.

— Pourquoi ne croyez-vous pas qu’elle puisse me rendre heureux ? demanda Julian, et il sourit de ce sourire qui me faisait rougir.

— Parce que vous n’êtes pas un homme ordinaire, m’écriai-je. Vous êtes un poète. Vous avez besoin d’une femme qui soit pour vous la poésie incarnée. Ce n’est que comme cela que votre génie