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L’AMOUR CRUEL

— Chante moi quelque chose, te dis-je un autre jour, je veux entendre ta voix. — « Tu veux ? » dis-tu en riant, et tu te rejettes, en fermant les yeux, sur les coussins. Furieux, je jette la lyre sur tes genoux. Tu ris encore. « Joue », fais-je en serrant le poing.

— Je casse les cordes et te jette l’instrument à la tête.

— Je me sentais devenir fou. Pendant que les autres femmes se paraient d’étoiles de Bysance, de fourrures et de perles, tu défaisais tes cheveux d’or et, rejetant tout vêtement, descendais dans l’onde, belle comme Cypris. Ainsi tu m’as vaincu.

— Un jour, tu me dis : « Va, tu es libre », et comme je te regarde avec de grands yeux étonnés : « Ne t’occupe pas de moi », dis-tu. Et tu te prosternas devant moi, toi, le czar ! Mais je te relevai et je t’embrassai. Ainsi je devins tienne.

— Ainsi nous changeâmes de rôles : tu devins souveraine, et moi, esclave.

— Ne raille point.

— Ne t’aimé-je pas plus que mon Dieu ? À lui, j’offre de l’encens, des fleurs, de l’or et des terres. À toi, je m’offre moi-même. Tu poses le pied sur moi comme sur un marchepied. Ne suis-je pas à toi ?