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L’ENNEMI DES FEMMES

chausser les grosses bottes. Il avait la tête ouverte à toutes sortes d’idées. Sa mère me conseillait de le faire étudier. J’y consentis. Je croyais qu’il exprimerait un jour ce que je pensais, ce que je ne pouvais pas dire, ce que vous dites, et que je pourrais me donner la joie de m’entendre en l’écoutant. Mais, dès qu’il s’est cru savant, il a méprisé le village ; il est venu s’installer à la ville, et nous sommes convenus de nous renier… Ah ! j’ai fait souvent bien du mauvais sang ! j’ai eu souvent de bien grandes colères contre lui ! Jamais autant que quand j’ai appris qu’il avait osé…

— C’est bien, monsieur Gaskine, interrompit Nadège, vous m’avez dit cela, n’en parlons plus. Tout peut se réparer. Nous avions déjà fait la paix ensemble. Faites-la à votre tour. Jaroslaw, il faut quitter la ville et retourner avec votre père.

Jaroslaw s’inclina.

— Mais qu’est-ce qu’il fera chez nous ? demanda le fermier d’un air grognon, qui n’était pas très sincère, car il luttait contre une joie envahissante.

— Il écrira sous vos yeux, sous votre dictée, bon père, des articles pour mon journal. Le premier ne sera peut-être pas excellent, le second vaudra mieux. En étudiant les graves et douloureuses questions qui menacent l’avenir, il lui viendra peut-être l’inspiration de la grande poésie, et alors, nous pourrons nous féliciter quelque jour d’avoir contribué à doter la patrie d’un véritable écrivain, d’un vrai poète, d’un vrai patriote.