Page:Sacher-Masoch - L’Ennemi des femmes, 1879.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
L’ENNEMI DES FEMMES

Mais dès qu’il eut prononcé son nom, la porte s’ouvrit à deux battants, et Nadège plus belle, plus calme, plus souriante que jamais, lui dit de sa voix mélodieuse :

— C’est très bien à vous de venir me voir ; cela me prouve que je vous ai bien jugé, et que vous valez mieux que votre poésie !

Le poète s’inclina sans oser faire la grimace.

Madame Ossokhine l’invita à s’asseoir, tout près d’elle. Décidément, elle n’en avait pas peur.

— Vous m’en voulez beaucoup ? lui dit-elle, vous êtes furieux !

— Je suis étonné surtout, madame, répliqua Jaroslaw avec un peu de fierté. Je connaissais votre impartialité.

— N’ai-je pas été impartiale ? J’ai rendu justice à votre savoir, à votre mémoire. Vous n’avez rien oublié de ce que vous avez appris ; mais…

— Mais vous trouvez que je n’ai pas de talent, murmura le malheureux avec un soupir qui ressemblait à un dégonflement.

Nadège allongea la main vers un vase turc, prit du tabac et du papier, roula dans ses jolis doigts une cigarette, qu’elle tendit à l’infortuné ; en fit une autre pour elle-même, qu’elle alluma après avoir donné du feu à Jaroslaw ; puis se renversant dans son fauteuil :

— J’ignore si vous avez du talent en prose, lui dit-elle ; mais vous n’avez que de l’habileté en vers.